Deuxième partie : Expliquer les anomalies

4 April 2020

Première partie : RELEVER LES ANOMALIES

Deuxième partie : Expliquer les anomalies

Devinez quoi, Dr Snow, on revient à l’air ambiant!

Peu après la publication du billet précédent, j’ai eu vent d’une étude récente (en italien) qui offre une perspective redéfinissant le cadre de la discussion. De mon point de vue, du moins, l’article semble expliquer les anomalies. Après une recherche approfondie menée par des collègues (voir plus bas), voici les conclusions qui ont été tirées.

Rédigé par plusieurs intellectuels et autorités médicales du nord de l’Italie, le rapport établit un lien entre la pollution atmosphérique et la propagation rapide du coronavirus. Selon le rapport, le virus se fixerait à des particules minuscules pouvant demeurer en suspension dans l’air « pendant des heures, des jours, voire des semaines, et pouvant voyager sur de longues distances ». Toutefois, il est important de le noter, d’autres indices semblent indiquer que la plus grande partie n’est active de cette façon que sur une distance de quelques centaines de mètres1.

Si cela est vrai, alors cela expliquerait peut-être pourquoi les gens peuvent être infectés sans être directement exposés au virus, simplement en respirant l’air ambiant. Cela pourrait également expliquer pourquoi les éclosions ne font généralement pas le saut des villes-centres aux villes avoisinantes, voire parfois aux banlieues locales. Cela semble expliquer également pourquoi certains endroits, particulièrement les grandes villes, connaissent d’importantes éclosions, alors que d’autres, non. Ces endroits peuvent être particulièrement pollués par la circulation automobile et l’activité industrielle (Wuhan, New York). Comparons-les à la plupart des régions rurales, voire des favelas qui comptent peu d’automobiles et de grandes usines (en plus d’avoir des températures plus élevées, ce qui semble avoir une corrélation négative avec la propagation du virus). Considérons également le terrain : les villes qui sont entourées de montagnes emprisonnant l’air pollué (comme Téhéran) et qui connaissent l’inversion thermique et une concentration importante de smog (comme New York [en anglais]), pourraient être plus susceptibles de connaître d’importantes éclosions que celles qui sont campées sur des terrains plats et venteux (comme les États arabes et le Moyen-Orient). 

La Chine et la Corée du Sud ont été saluées pour le confinement de leur population qui aurait ralenti la propagation du virus. C’est probable, mais un autre bienfait important est fortuit : avec moins de voitures sur les routes et plusieurs usines fermées, le taux de pollution a grandement diminué. Cela pourrait-il expliquer la conclusion plutôt hâtive de ces éclosions?

Rassemblons le tout en fonction de trois niveaux de transmission. (1) Le premier niveau est direct et personnel : exposition immédiate dans une pièce ou dans un parc à des gouttelettes en suspension dans l’air, en provenance d’une toux (et nous détenons maintenant des preuves établissant que le virus peut voyager plus de deux mètres), ou tombées sur une surface qui est ensuite touchée. (2) Le deuxième niveau est local et atmosphérique : exposition à des gouttelettes en suspension dans l’air pollué et sans doute inhalées (ou touchées après être tombées sur une surface?), fort probablement dans une ville industrialisée, mais pas au-delà de cette ville.

Entre ces deux premiers niveaux, on pourrait retrouver un niveau institutionnel et confiné, comme une résidence pour personnes âgées ou une salle de réception, où des particules problématiques (des aérosols? des microplastiques?) pourraient circuler dans des installations de ventilation centrale. Cela soulève une question clé : quels types de particules sont plus susceptibles de propager le virus?

(3) Le troisième niveau est mondial et géographique, à savoir que le virus voyage des centres infectés vers d’autres endroits dans le monde. Le coronavirus voyage certes à travers le monde, mais lorsqu’il se pose, quelle est la portée de sa propagation? Ce troisième niveau semble être une combinaison des deux premiers niveaux : le virus voyage personnellement et se propage directement, par exemple lorsqu’une personne infectée prend l’avion sans être mise en quarantaine. Cependant, il se propage ou non localement en fonction des conditions locales comme la pollution, la température, le vent et le terrain, peut-être également en fonction de l’humidité.

Que faire de tout cela? Nous pouvons recadrer notre réflexion. Le « Ça s’en vient! Ça s’en vient! » devient  « Le virus s’en vient partout, mais ne se propage pas partout ». Ainsi, nous pouvons estimer où le virus risque de se propager et comment allouer en conséquence les efforts et l’équipement. Nous pouvons analyser les phénomènes climatiques, particulièrement le vent, et prévoir les déplacements du virus dans la région immédiate. Les zones d’éclosion devront peut-être prendre des mesures drastiques afin de diminuer le taux de pollution, par exemple en fermant sans tarder les usines polluantes. (C’est aussi bon pour contrer le réchauffement climatique, vous vous en souvenez?) Également, la circulation automobile peut être réglementée lorsque l’éclosion est assez importante. (Nous pourrions être tributaires des véhicules électriques entre-temps.)

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Je remercie Nathalie Duchesne d’avoir attiré mon attention sur l’étude italienne et à Hanieh Mohammadi et Paola Adinolfi, en Italie, ainsi qu’à Nathalie, pour avoir déniché tant de données utiles.

© Henry Mintzberg, 2020.

Traduction par Nathalie Tremblay

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1La majorité des virus sont très fragiles et, s’ils circulent dans l’air, la plupart d’entre eux sont désactivés en raison de l’éclatement de l’enveloppe extérieure du virus. Les tests qui font état de la présence du virus à grande distance de son point d’origine retracent simplement l’ARN (l’acide ribonucléique, un acide nucléique présent dans toutes les cellules vivantes) du virus. La plupart des ARN ne sont toutefois pas actifs (tests PCR [en anglais]). Des recherches antérieures concernant d’autres virus, comme le Zika (en anglais) et l’Ebola (en anglais), semblent corroborer ces conclusions.