Aller de l’avant, plutôt que de reculer

1 May 2020

Fondé sur deux blogues précédents au sujet de la crise du coronavirus, celui-ci est tourné vers l’avenir.

Nous semblons pris dans un piège dont personne ne ressortira gagnant. En testant et en confinant les gens, nous avons tenté d’aplanir la courbe plutôt que de freiner le coronavirus, dans l’espoir de voir surgir un vaccin ou un médicament miracle. À défaut, le choix qui s’impose à nous est de tuer notre économie en gardant tout fermé ou de la rouvrir au risque de tuer un plus grand nombre d’entre nous. Une façon de s’en sortir réside peut-être dans la preuve portant que, au-delà de la transmission directe du virus, il y aurait une forme atmosphérique de transmission, par l’air pollué. Cela viendrait peut-être expliquer pourquoi les éclosions importantes de la maladie se produisent là où elles se produisent, dans des installations autant que dans des villes. Nous pouvons échapper à ce piège, et nous attaquer aux changements climatiques du même coup, en fermant de façon sélective les grandes sources de pollution. Le temps est venu d’aller de l’avant.


Un certain nombre de questions clés à propos de cette pandémie n’ont pas trouvé de réponses adéquates. Pourquoi les éclosions se sont-elles produites dans certaines grandes villes plutôt que d’autres, sans même parfois toucher les régions avoisinantes? Pourquoi y a-t-il des éclosions si virulentes dans certains espaces confinés comme des bateaux de croisière et des résidences pour personnes âgées? Comment expliquer la fin abrupte de l’éclosion à Wuhan et en Corée du Sud? Également, pourquoi certaines personnes contractent-elles le virus sans exposition évidente? Il doit y avoir une autre raison.


La réponse à cette question commence par une étude menée du 21 février au 13 mars par une équipe de recherche italienne composée de chimistes, de biochimistes et de scientifiques de l’environnement ayant réfléchi au lien entre la pollution atmosphérique et la propagation rapide du virus. Cette corrélation a été mentionnée ailleurs, mais l’équipe italienne a découvert une causalité possible : des résidus de particules du virus se fixeraient à des particules de pollution transportées dans l’air que nous respirons peut-être.


À en juger par différents tests effectués sur d’autres virus (Zika et Ebola), le virus demeure actif sur seulement quelques centaines de mètres. Des éclosions se remarquent donc peut-être dans des endroits où l’air pollué plane au-dessus d’une localité spécifique (comme c’est le cas dans des villes où le smog est important, à l’instar de New York), sans toutefois s’étendre bien loin dans les régions environnantes. Les dix éclosions les plus importantes à travers le monde (en date du 8 avril), en Chine, aux États-Unis, en Italie, en Espagne et en Allemagne, sont toutes survenues dans des régions très polluées.


Nous savons que le virus se propage par contact de proximité, par exemple par la toux ou le toucher. Cela peut être considéré comme une transmission de premier niveau, une transmission directe. Nous savons également que l’air pollué peut toucher les poumons des gens, présentant donc un risque plus important pour les personnes ayant contracté la COVID-19. Ici, toutefois, nous formulons un postulat différent : les gens, même isolément, peuvent devenir contaminés alors que le virus les rejoint par les particules d’air pollué. Cela peut être considéré comme une transmission de deuxième niveau, une transmission atmosphérique.


Les cas de COVID-19 se dénombrent maintenant partout dans le monde, mais pas les éclosions importantes, malgré les prédictions catastrophiques. Les deux niveaux de transmission peuvent nous fournir une explication. Le virus peut être transporté d’un endroit à l’autre par une personne contaminée, une transmission de premier niveau, disons lors d’une rencontre sociale. Toutefois, une fois sur place, le virus peut nécessiter une transmission de deuxième niveau pour déclencher une éclosion, en se fixant aux particules d’air polluées localement. (L’effet est possiblement modulé par certains facteurs climatiques comme l’humidité qui pourrait prolonger la durée de la période active du virus et l’exposition au soleil qui pourrait la réduire, comme l’indique le rapport italien, ainsi que par le vent qui peut dissiper la pollution.) L’air pollué pourrait donc représenter le facteur important qui explique où surviennent les éclosions, là où le virus se pose, à l’intérieur comme à l’extérieur.


Le deuxième niveau de transmission permet également d’expliquer pourquoi certaines personnes contractent le virus sans être directement exposées, en présence d’air pollué, et pourquoi une éclosion importante ne se propage pas aux régions moins polluées en périphérie : le virus peut franchir de grandes distances avec une personne contaminée (transmission de premier niveau), mais pas dans l’air (transmission de deuxième niveau).


La Chine et la Corée du Sud ont été saluées pour avoir confiné leur population afin de réduire le taux de contamination. D’accord. Toutefois, un avantage important est plus inattendu. Avec moins de circulation automobile et d’activité industrielle, la pollution a diminué, de même que l’éclosion. Cela permet de croire que le retour à la normale, au même niveau de pollution, en Amérique comme en Asie, pourrait entraîner une nouvelle vague de contamination. C’est ce que nous constatons potentiellement actuellement au Japon. Sans assainissement de l’air, est-il possible de contenir la pandémie?


En 1854, au cours d’une éclosion de choléra à Londres, le Dr John Snow, considéré comme un marginal pour avoir remis en question la conviction admise portant que le choléra devait se transmettre par l’air, a marqué d’une épingle sur une carte de la ville chaque endroit où il y avait eu un décès. À l’exception de deux, ces épingles étaient regroupées autour d’un puits. Il s’est rendu à la maison d’une des deux personnes décédées ailleurs et a appris qu’elle aimait l’eau de ce puits et qu’elle s’en faisait porter. Une nièce qui lui rendait visite de l’autre endroit isolé aimait également cette eau. Ces deux exceptions sont venues corroborer l’hypothèse du Dr Snow relativement à la transmission du choléra par l’eau polluée. La poignée du puits a été retirée et l’épidémie a pris fin.


Des endroits confinés, comme un bateau de croisière ou une résidence pour personnes âgées, pourraient-ils être les exceptions qui corroborent le fait que le coronavirus peut être transmissible par l’air pollué?


Habituellement, dans ce genre d’endroits, les gens tendent à se réunir. Cependant, avec l’occurrence des contaminations, les personnes ont été confinées dans leur chambre. Pourtant, le virus a continué de se propager. L’explication classique se veut une transmission de premier niveau : le virus a été transmis directement, peut-être par les plateaux déposés à leur porte, peut-être également par des soignants contaminés qui viennent travailler dans les résidences pour personnes âgées. Ici encore, peu importe la plausible exactitude de cette explication, est-ce que cela suffit à expliquer le taux relativement élevé de cas? Il y aurait beaucoup de choses à expliquer. Est-ce que nous voyons simplement ce que nous croyons?


Des études menées sur des bateaux de croisière et des résidences pour personnes âgées ont noté des taux élevés de pollution dans l’air, ce qui pourrait transporter le virus au-delà du contact direct. Les conduits de ventilation (comme c’était le cas pour la maladie du légionnaire) peuvent accélérer la circulation de cet air. Toutefois, chaque endroit possède sa propre atmosphère interne, qui pourrait suffire à propager la maladie. Le cas échéant, il convient de trouver quels produits chimiques sont utilisés dans ces endroits, quelle est leur propension à transporter le virus, afin que chaque endroit puisse être testé dans le but d’éliminer les dangers. Il en va de même pour les lieux de grands rassemblements comme les arénas, les théâtres et d’autres endroits du genre, ainsi que les établissements de traitement des viandes : cherchez la transmission de deuxième niveau, plutôt que simplement celle de premier niveau.


Est-ce que cela établit le bien-fondé de la transmission de deuxième niveau? Peut-être davantage que de plaider en faveur de l’iniquité de la transmission de premier niveau. Bon nombre d’épidémiologistes ont remis en question ce qui est avancé ici en clamant le manque de preuve. Dites-moi, où sont les preuves du ramassis de solutions actuellement avancées? Montrez-moi la preuve ayant mené à la décision prise ici, au Québec, de rouvrir d’abord les écoles? Quelle preuve vient appuyer la reprise de notre économie polluante en croisant les doigts? Devant l’énormité des enjeux et la rareté des options, nous ne pouvons nous permettre d’attendre des années pour confirmer une proposition non seulement plausible, mais également constructive. Il faut aller de l’avant, plutôt que de reculer.


Ouvrir ou ne pas ouvrir, là est maintenant la question. L’idée est peut-être complètement erronée, nous entraînant directement dans le piège dont personne ne ressortira gagnant. La transmission de deuxième niveau nous oriente dans une autre direction, vers l’avant. Stopper la pollution pour stopper le virus. #stopP2stopV. Plutôt que de garder l’économie fermée ou de l’ouvrir au même niveau de pollution, il est possible d’opter pour des fermetures sélectives. Ouvrir les parties de l’économie qui polluent peu tout en gardant fermées les sources importantes de pollution, jusqu’à ce qu’elles s’assainissent, si possible : les centrales électriques, les usines, les véhicules et les autres installations du genre qui sont les plus grandes émettrices. La solution est peut-être drastique, mais pas autant que les deux options actuellement avancées. En fait, si nous retirons les poignées des puits, intérieurs comme extérieurs, qui polluent l’air, tout le monde peut en sortir gagnant, pour notre santé collective immédiate et à long terme, ainsi que pour le climat, qui en a assez de notre réchauffement. De toute évidence, il est temps de faire ce que nous aurions dû faire il y a longtemps.


© Henry Mintzberg 2020. Managing the Myths of Health Care a été publié en 2017. N’hésitez pas à le traduire et à le faire circuler à des fins non commerciales, en indiquant le lien vers le texte original.


Je suis reconnaissant à tous ceux qui ont contribué à cet effort au cours de ce dernier mois un peu fou.

À la recherche : Hanieh Mohammadi, Paola Adinolfi, Simon Hudson, Alex Anderson, Pierre Batteau, Diane Marie Plante

À la suggestion d’études et de publications : Natalie Duchesne, Lisa Mintzberg, Susan Mintzberg, Leslie Breitner, Joanne Liu, Jonathan Gosling, Karl Moore, Rod Willis, Andrew Humphreys, Rosamund Lewis, Don Berwick, pas tous nécessairement en faveur de cette position

Au soutien professionnel : Rick Fleet et Jean-Simon Létourneau, avec notre groupe Blindspot [angle mort], et Bill Litwack à la révision
Au soutien en coulisses : Santa Rodrigues, Marie-Michèle Naud

Et finalement, mais surtout, au soutien substantiel autant que personnel : Dulcie Naimer


Pour mémoire, ce blogue a été affiché sur cette page après avoir été proposé à quatre grands journaux. L’un d’eux l’a rejeté gentiment, à deux reprises. Au moment de cette publication, je n’ai toujours pas eu de réponse des trois autres. Plusieurs épidémiologistes l’ont lu. Tous, de mémoire, l’ont rejeté par manque de preuves. Toutefois, il me semble, dans notre effort pour aller de l’avant, nous poursuivons un plan d’action optimiste.


Le rapport original en italien n’a pas été publié; il a récemment paru en anglais.
2 Un article paru dans l’édition du Guardian du 24 avril a finalement abordé cette idée, sans parler de ses conséquences. L’article a cité des spécialistes quant à la plausibilité de cette idée, l’un d’eux affirmant qu’il faudrait deux à trois ans pour la confirmer.


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